Crise sanitaire et décisions d’État : des leçons à tirer pour les managers
Des décisions similaires… des réactions différentes
Avec la crise sanitaire, la moitié de la population mondiale vit actuellement confinée. Une porte de sortie s’ouvre pour plusieurs pays… avec des conditions bien différentes selon les cas. Face à cette pandémie inédite, les mesures de prévention puis celles à venir pour le déconfinement diffèrent selon les pays. Et les résultats aussi.
Un exemple : la réouverture des écoles en Europe.
L’Allemagne, La Turquie, la Pologne, la France… ouvrent leurs écoles entre fin avril et mi-mai. D’autres comme l’Angleterre, l’Espagne, La Hongrie, la République Tchèque ont fait le choix d’attendre de plus amples informations. Le Portugal et l’Italie ont quant à eux annoncé la fin de l’année scolaire.
Les stratégies diffèrent alors qu’elles se basent pourtant sur un niveau de connaissances semblables. Cela est courant : des faits similaires peuvent générer des décisions différentes. Détenir les mêmes informations ne signifie certainement pas « détenir toutes les informations ». La part d’incertitude n’est pas étrangère à ces différences.
Les choix qui sont opérés par les différents dirigeants sont ceux du moins pire, coincés entre crise sanitaire et survie économique. Et pourtant, les polémiques suscitées face à cette crise sanitaire en France n’existent ni en Allemagne, ni en Italie, ni en Angleterre…. Pourquoi ? Quelles leçons en tirer ? Quelques éléments de réponses …
La confiance des dirigeants : un facteur d’acceptabilité
En Allemagne, Angela Merkel, bénéficie d’une très forte confiance avec 79% d’opinions favorables. Au pouvoir depuis 14 ans, sa gestion des différentes crises, son profil scientifique (doctorat de chimie), son attitude modeste et compétente en font une dirigeante respectée de la population ; le tout conforté par des résultats qui sont parmi les meilleurs au monde.
Les résultats, la qualité de gestion ne sont pas pour autant par forcément déterminants puisque le premier ministre anglais Boris Johnson et le premier ministre italien bénéficient d’une hausse de popularité de plus de 20 points alors même que la gestion de la crise sanitaire a été abondamment critiquée.
En France, le niveau de confiance dans le gouvernement a certes gagné des points dans les sondages mais ne dépassent pas les 47 % de cote de confiance (baromètre Kantar du 2 avril pour le Figaro).
Des différences entre pays plus ou moins favorables à la confiance
Les 3 critères que nous avons pris en compte permettent de comparer les méthodes allemandes et françaises. Sans préjuger du résultat final sur l’efficacité de gestion de la crise sanitaire, il est d’ores et déjà des leçons que l’on peut tirer.
Le rapport général aux pouvoirs
Même si les généralisations sont dangereuses, il est toutefois possible de dire que le rapport au pouvoir est sans aucun doute différent entre nos deux pays. En Allemagne, en Bavière particulièrement qui a été le foyer de l’épidémie allemande, des mesures strictes ont été prises. Contrairement à l’idée reçue, la discipline a été défaillante puisque des « fêtes Corona » ont été organisées. Le Ministre-Président de Bavière Markus Söder a été très ferme et a même littéralement « engueulé » ses concitoyens avant de les féliciter ultérieurement.
La population allemande a très bien réagi et ce langage de vérité et cela a produit des effets bénéfiques très rapides.
En France, s’il est coutume de dire pour les amoureux du ballon rond qu’il existe 60 millions de sélectionneurs, le nombre d’infectiologues a bondi en flèche ces dernières semaines et l’amour des débats a été clairement démontré. Ces opinions, plus ou moins fondées, montrent une défiance générale vis-à-vis des pouvoirs : politiques, économiques, médiatiques …Notre rapport à l’autorité est fondé sur la méfiance ; voire sur défiance des Français puisque, selon le baromètre mensuel ODOXA, 62% des Français disent ne pas faire confiance au gouvernement pour réussir le déconfinement et gérer correctement cette crise sanitaire. Et ce rapport est général puisqu’aucune autorité morale, politique, scientifique n’est à ce jour considérée comme suffisamment rassembleuse pour catalyser une vision pondérée, déléguant la vérité scientifique aux scientifiques, et appelant à l’unité temporaire…
Dans un sondage paru dans Ouest le 27 avril (enquête Institut Kanta Emnid), les Allemands font davantage confiance à Emmanuel MACRON qu’à Angela MERKEL ; signe que l’on n’est décidément jamais prophète en son pays.
La centralisation ou non du pouvoir
Un pouvoir lointain, centralisé, décorrélé des réalités ; c’est le reproche souvent entendu. Le jacobinisme français a été longtemps rendu acceptable car des figures tutélaires incarnaient le pays ; de de Gaulle à Mitterrand ; l’incarnation du chef tempérait ses critiques. Avec l’arrivée de nouveaux dirigeants, de nouveaux médias et des réseaux sociaux, l’afflux d’informations a donné une illusion de maîtrise, de compétence à chaque citoyen.
L’éloignement du pouvoir et les sources anarchiques « d’informations » ont contribué à façonner des agrégats d’opinions, des archipels de pensées telles que décrites par Jérôme FOURQUET. Dans son livre (L’archipel français : naissance d’une nation multiple et divisée), le divorce entre les différentes chapelles d’opinions est tel que l’adversaire est devenu ennemi. Ces fractures rendent irréconciliables des groupes de population, convaincues d’être dans le vrai, refusant tout compromis.
L’Allemagne est administrée par 16 Landers, aux prérogatives fortes. Chaque Land exerce un réel pouvoir exécutif et en l’occurrence, chacun dispose de son ministre de la santé. La proximité entre dirigeants et citoyens rend leurs décisions politiques plus acceptables qu’en France… parce qu’elles intègrent plus finement les différences de classe, les besoins des uns et des autres, parce que l’impact de ces décisions est plus visible, plus immédiat et donc plus en accord avec les besoins précis de la population.
A cela s’ajoute que la proximité avec les électeurs impose aux gouvernants une pression plus forte, une obligation de résultats plus impérieuse…leur réélection est en jeu. Les tests généralisés, le strict respect du confinement, les dotations en lits équipés de respirateurs constituent des faits qui plaident en faveur du système allemand. Et même si, chose amusante, la liberté de chaque Land étant forte durant cette crise, tous ont quasiment pris les mêmes décisions, de droite comme de gauche.
Le langage de transparence des gouvernants
La pénurie de masques a été comparable entre l’Allemagne et la France.
Les gouvernants allemands l’ont admis dès le début de la crise. Le confinement imposé a été accepté et il n’y a pas eu de polémique. Ajoutons à cela le discours d’unité du Président Allemand Frank-Walter Steinmeier le 11 avril qui a « cimenté » le peuple et favoriser l’acceptation du confinement. L’Allemagne a traité le sujet de la crise en considérant son peuple comme une entité adulte et responsable. D’autres comme la Suède l’ont même fait en n’imposant pas le confinement mais en misant sur la responsabilisation individuelle (même si cette mesure est contestée à l’intérieur du pays). Sans augurer de l’efficacité de ces politiques à la fin de la crise, le principe est clair : la confiance a été obtenue aussi grâce un discours de transparence.
Du côté français, le ministère de la santé a annoncé dans un premier temps que le port du masque n’était pas utile. Quelques semaines plus tard, il annonçait lancer un grand plan d’approvisionnement de ces masques. Le déficit flagrant de cohérence a jeté un doute sur la véracité du discours et de sa transparence. Évidemment, dans un pays déjà fracturé par ses opinions diverses, il n’en fallait pas plus pour que certains évoquent déjà un scandale d’Etat.
Les leçons pour le management d’entreprise
Il serait possible d’aborder d’autres critères qui véhiculent la confiance, en particulier durant des périodes de crise où les facteurs d’incertitude sont nombreux.
Les leçons à tirer sont de trois ordres :
La nécessaire pédagogie et la communication
Lorsque les conditions de décisions sont incertaines, la pédagogie est essentielle. Un manager doit expliquer ses décisions, énoncer ses avantages et les risques encourus. L’acceptation, la cohésion, l’implication s’obtiennent par un langage de vérité, clair et permanent.
Communiquer sur ses choix ; c’est l’occasion pour le manager de montrer aussi qu’il n’est qu’un humain et que son rôle est de faire « au mieux ». Le niveau de maturité des salariés est aujourd’hui tel que les décisions sans explications sont difficilement acceptables.
Il faut admettre que manager est bien autre chose que résoudre une équation mathématique. Les situations à traiter sont parfois si complexes que les décisions prises se font sur la base d’une balance bénéfices / risques. Il n’est donc pas de solution idéale, unique.
L’intégration des équipes dans le cycle de décision
L’acceptation des décisions est d’autant plus aisée qu’elle est la conséquence d’un travail qui a impliqué les futurs acteurs de leur application. Que l’on nomme cela co-construction ou autre chose, peu importe, l’implication des équipes dans le processus de décision représente un facteur d’acceptation essentiel.
Cette intégration des équipes est d’autant plus aisée que le management est proche de son équipe. Si tel est le cas, le sentiment d’appartenir à une même entité cohérente, dont les objectifs sont les mêmes est renforcé. A contrario, un management lointain, vertical, centralisé suscite la méfiance et le déficit de crédit accordé au manager.
La suppression des rigidités hiérarchiques
Le manager était le chef, il devient animateur. L’économie de marché nécessite réactivité, l’agilité et remise en question permanente. Le manager doit accepter que des informations lui échappent pour un temps, que les salariés ne s’adressent plus systématiquement à lui, qu’ils consultent, travaillent avec d’autres équipes, sollicitent directement d’autres managers.
Évidemment, il s’agit là d’une rupture de nombreuses pratiques actuelles où le manager qui ne sait pas tout ce qui se passe dans l’instant est jugé défaillant, perdant le contrôle. Or justement, c’est cette perte de contrôle temporaire qu’il faut accepter. Briser les lignes hiérarchiques n’est pas désobéir, s’adresser directement à son N+2 n’est pas une trahison… si cela est utile, tout un chacun doit pouvoir solliciter qui il veut quand il le juge utile.
Vous pensez peut-être qu’il y a des risques à ce type de dispositions ? Oui, c’est vrai mais la rigidité de beaucoup d’organisations est encore plus risquée ; voire mortelle.
Et après…
Dans un environnement de plus en plus incertain où les facteurs qui fondent une décision sont mouvants, temporaires, peu fiables… le partage, la transparence, l’agilité sont des facteurs essentiels pour « embarquer » les équipes dans un projet d’entreprise.
Les compétences managériales changent, évoluent. Elles ne peuvent plus s’imposer dans les mêmes conditions. L’acceptation, fondée sur la confiance, s’obtient aux conditions abordées ci-dessus.
Nous pensons chez QUALIX qu’il est possible de faire évoluer les compétences managériales, de les compléter par des « compétences » humaines qui permettent d’agréger les équipes, de les mobiliser.
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